Le calvaire vécu par Jean Guth

 

« Le calvaire et la mort du Père Jean Guth, prêtre catholique

 

Père Jean Guth, curé de la Paroisse Saint Pierre Claver de Mayama, quitte en catastrophe la paroisse de Kindamba, suite à l’attaque déclenchée par les Ninjas contre les positions de l’armée, le 31 mars 2002. Après avoir parcouru 22 km, à bord de sa Toyota Land Cruiser, commence pour lui le calvaire qui le conduira à la mort. En effet, rapportent des témoins oculaires, c’est à deux kilomètres de Loukouo, précisément à Mibouori, que le père Guth tombe sur le « bouchon » dressé sur la route Kindamba- Mayama par un chef Ninja répondant au prénom de Freddy. Ce dernier et ses hommes interceptent le prêtre, l’accusent d’être un « infiltré », parce que sa présence à Kindamba, en cette période où venaient de se déclencher les hostilités entre les Ninjas et la force publique, est jugée plus que suspecte, d’autant plus que le père Guth, qui avait été Curé de Kindamba, n’y avait plus mis les pieds depuis des années.

 

En réalité, Père Guth, devenu Curé de Mayama, était chargé en 2000, par l’Evêque de Kinkala, de l’animation pastorale du secteur Kindamba-Vindza, qui n’avait plus de prêtre résident depuis le déclenchement de la guerre de 1998-1999. Il s’y est donc rendu pour la célébration des fêtes pascales. Malheureusement, pour Freddy et ses hommes, c’est un prétexte tout trouvé pour s’emparer de la Toyota Land Cruiser 4x4 du père Guth, ainsi que des biens qu’il avait avec lui, y compris une coquette somme d’argent. Après l’avoir dépouillé, les Ninjas déshabillent le prêtre, le mettent à genoux, et lui appliquent leur châtiment contre les infiltrés et les traîtres : le tristement célèbre « mbetengué », appelé aussi dans les milieux des Ninjas « la gifle de Saint Michel », le saint patron de Ntoumi. La séance de « mbetengué », qui consiste à administrer des coups du plat de la machette « Tramontina (bà na nsi, en lâri) » à la victime étendue sur le sol, les deux mains ligotées derrière le dos, tourne mal pour le pauvre missionnaire spiritain. Comme si le « mbetengué » ne suffisait pas, les Ninjas, d’un coup de couteau, lui sectionnent les tendons. Le sang gicle à grosses gouttes et le prêtre tombe évanoui.

 

Affolés par leur geste meurtrier et craignant des graves conséquences qui pourraient en découler, les Ninjas amènent leur victime au dispensaire de Loukouo, où ils le confient à un aide-infirmier pour les soins. Malgré le dévouement de l’aide-infirmier, le Père n’arrive pas à guérir de ses graves blessures. Après quelques jours d’observation, le cas est jugé incurable par l’infirmier qui, limité par les moyens matériels et ses connaissances scientifiques, finit par remettre la victime aux mains de ses bourreaux qui, à leur tour, ne trouvent pas mieux que de le cacher à Wayako, un petit village éloigné de la route principale qui mène à Vindza, et dans lequel la présence du Père ne serait donc remarquée. Père Guth y trouve la compagnie d’un habitant du nom de Manima, à qui les Ninjas ont également coupé les tendons et qui est soigné à l’aide des plantes, selon la médecine traditionnelle des Ninjas, telle que révélée par Saint Michel.

 

Au moment des bombardements d’hélicoptères militaires qui ont accompagné l’offensive des Forces armées congolaises, les Ninjas sont obligés de traîner leur victime partout où ils fuient. Affaibli, attaqué par la septicémie, le père Guth finit par succomber à ses blessures, le 10 août de la même année, vers 17 heures, à Louwolo-Pouété. Il est enterré sommairement, avant la tombée de la nuit. Après son exhumation, pour des sépultures dignes de son rang à Brazzaville, l’autopsie révèle que le père Guth a subi des sévices répétées, avec plusieurs dents cassées, le sternum fracturé et le tendon d’Achille du pied gauche coupé : signe que son supplice ou encore son calvaire était pénible. »

 

[Extrait de Krysis KILOKILA-KIAMPASSI, Barbarie et folie meurtrière au Congo-Brazzaville, Paris, L’Harmattan, 2005, pp.43-45]