Pourquoi avoir peur ?

 

Pourquoi avoir peur ? (4ème Dimanche de l’Avent – Année B)

Textes : 2S 7, 1-5.8b-12.14a.16 ; Ps 88 (89) ; Rm 16, 25-27 ; Lc 1, 26-38

« La venue du Seigneur est proche ». Telle est l’annonce qui remplit d’émotion et d’émerveillement ce 4ème dimanche de l’Avent, et qui hâte notre pas vers la grotte. Noël est désormais imminent. Les sapins, les guirlandes, les jeux de lumière sur les espaces publics, dans nos demeures et dans nos églises nous plongent déjà dans sa joie. Et l’impatience de voir éclater cette fête dans nos vies gagne les cœurs. Pourtant, providentiellement, la liturgie de ce dernier virage nous invite à ne pas être pressés, à ne pas craindre, à ne pas désespérer dans l'attente d'un bien qui tarde à venir, mais de l'attendre, mieux encore, de préparer sa venue avec une confiance active. L’impatience.

Dans la première lecture, on nous montre un David très impatient. Il vient de vaincre tous ses ennemis avec l’aide du Seigneur. Il veut donc récompenser toutes les personnes et toutes les forces qui l’ont aidé à sortir victorieux de la bataille. Il veut non seulement récompenser les militaires, mais aussi satisfaire Dieu, en lui construisant un temple. Le projet n’est pas mauvais, quand on sait que le temple avait été détruit. C’est humain, mais alors trop humain. Parce que Dieu ne fonctionne pas comme nous. Parce que c’est Dieu qui construit et non l’homme, Dieu qui solidifie l’édifice, en garantissant l’avenir. La tentation qui depuis toujours tend un piège à tout chemin spirituel, c’est celle de penser que les résultats dépendent de notre capacité de faire et de programmer. Certes, Dieu nous demande une réelle collaboration à sa grâce, et il nous invite donc à investir toutes nos ressources d'intelligence et d'action dans notre service de la cause du Royaume, mais quand ce n’est pas Lui « le principe et le fondement » de nos constructions, tout s’écroule. Si le Seigneur ne bâtit la maison…

Mais le problème de David est plus complexe. Le problème de David, c’est l’impatience, la peur d’un lendemain sans vraie victoire, sans aucune lueur de bonheur. Le problème de David, c’est le manque de confiance (on vit dans l’incertain). Au fond, le problème de David, c’est qu’il n’est même pas sûr de sa victoire, et surtout de la fidélité de Dieu qui a et prend son temps. On comprend alors pourquoi dans la seconde partie de la lecture, Dieu prend le temps de le rassurer, qu’il continuera à lui garantir la tranquillité et la sécurité de l’ordre. Mais il le fera patiemment, prenant tout son temps. Telle est sa méthode. Ne nous inquiétons pas de savoir si et jusqu’à quel point cette manière est bonne. C’est ainsi que Dieu agit dans nos vies.

Saint Paul, dans la seconde lecture, le reconnaît quand il nous parle « d'un mystère gardé depuis toujours dans le silence », mais qui désormais est porté à la connaissance de toutes les nations. L’Enfant, que nous trouverons entre les bras de Marie et Joseph, est la Parole qui peut donner sa pleine consistance à notre vie. Dieu nous a ouvert les trésors de son profond silence et, dans son Enfant manifesté et glorieux, il s’est communiqué à nous. Dieu agit tout doucement. Mais hélas ! nous souffrons pour la patience de Dieu, parce que nous avons peur : peur de la misère et de la pauvreté, des maladies et des souffrances, de la solitude, de la mort, des démons qui nous menacent jour et nuit. Nous avons peur de mourir sans progéniture, de nous tromper, d’échouer... Tel est le problème de la peur, pour nous. Mais si nous avons peur, quels refuges cherchons-nous dans notre vie chrétienne, pour être en sécurité ? En qui avons-nous mis notre foi ?

Le témoignage de maman Marie dans l’Évangile de l’Annonciation nous rappelle que notre véritable refuge est la confiance en Dieu : elle éloigne toute peur et nous rend libres de tout esclavage et de toute tentation mondaine. Là où il s'agit d'une nécessité ou d'une attente qui dépasse la capacité humaine d'espérer, Dieu peut toujours intervenir, lorsque justement nous le laissons choisir quand et comment nous sauver. Nous pouvons tomber, connaître l’échec, l’incompréhension, mais à la fin, nous tombons entre les mains de Dieu, et les mains de Dieu sont de bonnes mains. Marie aussi a fait l’expérience de la peur (c’est vrai qu’elle ne doute pas de la puissance de Dieu, mais elle veut mieux comprendre sa volonté, pour s’y conformer entièrement). En réalité, il y avait lieu d'avoir peur, car porter à présent le poids du monde sur soi, être la maman du Fils de Dieu, quel poids cela constituait-il ! Et d’ailleurs, elle ne connaît point d’homme. Mais l'Ange lui dit : « Sois sans crainte! » Et Marie répond à l'Ange : « Que la volonté de Dieu soit faite ». Quelle confiance, quel abandon !

Dans nos sociétés aux multiples croyances et pratiques, nombreuses sont les personnes qui donnent voix à la question de savoir si nous devons attendre quelque chose ou quelqu’un, si nous devons attendre un autre messie, un autre dieu, s’il vaut la peine d’avoir confiance en cet Enfant de Noël. Oui, la confiance est possible, nous dit le psalmiste, parce que seul, Dieu a les paroles d’alliance éternelle ; c’est Lui le vrai roc et notre salut. Nous n’avons pas besoin d’un dieu faiseur de miracles, générique, indéfini, mais du Dieu vivant et vrai, qui ouvre l’horizon de l’avenir de l’homme à une perspective d’espérance ferme et certaine, une espérance qui nous assure que même au milieu de tant de souffrances, nous ne sommes pas seuls, que Dieu n’est pas loin de nous mais qu’il s’est penché sur nous et s’est fait chair (Jn 1, 14), afin que nous comprenions que l’accomplissement de nos aspirations les plus profondes se trouve dans le Christ. La confiance de Marie est, dans ce sens, la vertu de ceux qui s’en remettent à cette présence dans l’histoire, ceux qui ne se laissent pas vaincre par la tentation de placer toute leur espérance dans l’immédiat, dans des perspectives purement horizontales, dans des projets techniquement parfaits mais éloignés de la réalité la plus profonde, celle qui donne sa dignité la plus élevée à la personne humaine.

En Jésus, la solitude de l’homme est vaincue, notre existence n’est plus abandonnée aux forces impersonnelles des processus naturels et historiques, notre maison collective ou individuelle peut être construite sur le roc qu’il constitue. Prions Marie, notre Mère, pour qu'elle nous donne le  courage de prononcer ce « oui » qui sait attendre, qui sait s’user dans l’attente du salut. Amen. 

Père Raphaël BAZEBIZONZA, sj.