Jan Czuba au pays badôndo

 

Extrait d’un compte rendu de tournée pastorale fait par l’Abbé Jan CZUBA

 

 

« L’Eglise du Plateau Badôndo : 

Le Plateau Badôndo est un secteur pastoral de la Mission Catholique de Loulombo [diocèse de Kinkala]. Il est situé au Sud-Est du pays, entre Kimbedi (Gare ferroviaire du Chemin de Fer Congo-Océan) et la frontière du Congo avec le Zaïre. Il est habité par les Badôndo, un sous-groupe ethnique Kôngo. Comme langue, on y parle le Dôndo. D’où l’appellation Plateau Badôndo […]

 

Bien qu’enclavée, l’Eglise Catholique est présente dans cette zone. On y trouve six communautés chrétiennes de village assez organisées, avec de petites chapelles où les fidèles se rassemblent chaque dimanche pour prier […] Compte tenu de leur enclavement, ces communautés ne sont visitées que deux fois par année, par les prêtres de Loulombo. Cette année, j’y suis allé au mois de janvier, profitant de la petite saison sèche où les rivières connaissent une petite période d’étiage relatif […]

 

Je suis arrivé à Louhanga vers midi. C’était l’avant-dernière étape de ma tournée pastorale. Ce village est situé au confluent de deux grandes rivières, au bas d’une très haute montagne. Lorsque j’étais en train de dévaler la montagne, j’ai aperçu un attroupement d’enfants au milieu du village, devant la petite chapelle. Mon apparition sur le versant de la montagne avait, en effet, suscité des cris de joie qui, au fur et à mesure que je m’approchais du village, se transformaient en un chant qu’accompagnaient des rythmes du tam-tam et des danses locales.

 

Quand je suis arrivé dans le village, j’ai d’abord salué toute la communauté, avant de prendre une petite pause. Après quoi, j’ai commencé à confesser les pénitents et à préparer la célébration eucharistique. A cause de la longue distance qui me restait à parcourir et des grandes rivières à traverser à pieds, j’ai voulu tout faire le même jour dans ce village. Finir toutes les activités le même jour dans cette communauté me permettrait d’entamer la dernière étape le lendemain de très bonne heure.

 

J’ai donc célébré la messe la nuit tombante, avec une lampe tempête servant d’éclairage. J’ai baptisé un enfant pendant la messe. Après la messe, j’ai pris un repas avec plusieurs membres de la communauté chrétienne. Nous nous sommes tous assis autour d’un grand feu. Nous avons parlé des problèmes relatifs à la vie du village. Au cours de cette causerie, deux couples se sont présentés à moi, pour me soumettre leur projet de mariage religieux, qui devait être célébré le Dimanche des Rameaux, à l’occasion de la prochaine visite pastorale dans cette localité. Les parents de l’enfant que je venais de baptiser s’étaient également présentés pour le même projet. Le père était un fervent chrétien catholique, tandis que la mère, certes baptisée, priait actuellement dans une secte chrétienne d’origine africaine : le Ngounzisme. Mais cette femme, m’a-t-elle confié elle-même, avait déjà pris la résolution de revenir à l’Eglise Catholique. Comme dans toutes les autres communautés déjà visitées, nous avons terminé notre soirée par une prière. Après la prière, nous nous sommes réparés pour le repos de la nuit.

 

La petite maison réservée au séjour des prêtres en visite pastorale dans le village étant encore inachevée, les fidèles m’ont arrangé un lit dans la chapelle même. C’est là que j’ai passé ma nuit qui, malheureusement, a été troublée par le hurlement d’une femme vers trois heures du matin. Quelques instants après, j’ai entendu les pas d’une foule nombreuse se dirigeant vers l’endroit d’où venait ce hurlement. Je me suis efforcé de distinguer les paroles des cris que commençait à lancer cette foule ; j’ai alors compris qu’une personne était en train de mourir. J’entendait souvent le mot « sorcier ». Et la foule réclamait un féticheur ou le responsable de la secte « ngounziste ».

 

Soudain, cette même foule se dirigea vers l’église. Quelques instants après, les gens commencèrent à frapper à ma porte. Une grande peur s’empara de moi, car je me disais que, si ces gens arrivaient à penser  que c’est moi qui étais ce « sorcier » qui cherchait à bouffer leur frère, ce serait alors fini pour moi. Il faisait encore nuit et, tout étranger que j’étais, je ne savais par où entamer mon évasion.

 

Dès que j’ai ouvert la porte, les gens se sont saisis de moi et m’ont aussitôt conduit chez la victime. Cette dernière était allongée à même le sol et avait déjà perdu conscience : elle était évanouie. En l’observant de plus près, je me suis rendu compte que c’était le père de l’enfant que je venais de baptiser. Et, en quelques phrases, la foule m’a fait savoir qu’un « sorcier avait mangé son âme ; il fallait à tout prix chasser ce mauvais esprit qu’était le sorcier, afin de sauver cette personne ».

 

Dès lors, je ne savais plus à quel Saint me vouer. Donner le sacrement des malades ? Mais tous mes faits et gestes seraient peut-être interprétés comme une séance d’exorcisme ! Je deviendrais alors un féticheur à leurs yeux. Pire encore, si la personne venait à mourir définitivement, j’endosserais certainement toute la responsabilité. Voilà autant d’interrogations qui m’habitaient en ce moment-là. Pourtant, en observant encore plus attentivement ce monsieur, j’ai vite compris qu’il avait son ventre enflé. J’ai alors déduit qu’il devait probablement être empoisonné. J’ai voulu m’enquérir des aliments qu’il avait consommés la veille. A cette question, les gens, qui jusque-là étaient très fébriles, se sont peu à peu calmés et devenaient moins agressifs à mon endroit. J’ai profité de cette accalmie pour formuler une toute petite prière intérieure en faveur de la personne malade. Je suis alors revenu dans mon gîte pour attendre l’aube.

 

Pendant que j’attendais impatiemment le lever du jour, un jeune garçon est venu me voir dans l’église. Il m’a affirmé que ce monsieur n’en était pas là à son premier état comateux ; il en avait l’habitude. D’ailleurs, à l’un de ses moments de crise, ses proches sont allés consulté un féticheur qui leur a révélé que cette maladie était causée par un différend qui opposait cet homme à sa famille paternelle. Pour en guérir, le monsieur devait apaiser la colère de sa famille paternelle en lui offrant plusieurs dons, m’a confié le jeune garçon, qui a ajouté qu’il était envoyé dans ce village par cette famille paternelle de la victime, uniquement pour cette affaire.  A l’heure où je quittais le village – à l’aube s’il vous plaît-, le malade m’avait pas encore retrouvé sa conscience.

 

A mon retour au presbytère de Loulombo, j’ai partagé cette situation au curé et au grand séminariste-stagiaire. Que devions-nous en dire sinon que constater la naïveté et la faiblesse de la foi de cette population. Nous nous sommes également rendu compte que les fétiches et les accusations de sorcellerie occupent encore une grande place dans la mentalité de cette population. Nous avons conclu que de nouvelles stratégies d’évangélisation devraient être mises en œuvre pour enraciner la foi chrétienne dans ce peuple.

 

Fait à Loulombo, le 17 janvier 1993.

Abbé Jan Czuba

Vicaire à la Paroisse Saint Thomas de Loulombo »

 

[Extrait de Pierre Raudhel MINKALA, Souffrance et foi chrétienne dans la société congolaise. Essai d'interprétation des orientations pastorales de Mgr Anatole MILANDOU, Paris, Société des Ecrivains, 2006, pp.79-82]