Lire la Bible en contexte de non développement |
Lire la Bible en contexte de non développement
Le mois d’octobre prochain (du 5 au 26, au Vatican) sera marqué par l’Assemblée spéciale du Synode des Evêques sur le thème « La Parole de Dieu dans la vie de l’Eglise ». Nous publions ces lignes sur le site de notre diocèse, pour essayer de réfléchir ensemble et nous mettre, autant que faire se peut, au diapason de l’Eglise universelle.
Lire la Bible est du ressort de tout chrétien qui reconnaît dans la Parole de Dieu, la lumière sur sa route et la lampe sur ses pas (Ps 118/119) ; celle-là même que l’Eglise « écoute religieusement et annonce courageusement » (Dei Verbum n. 1). Nous touchons ainsi à un point essentiel de la foi et de la vie chrétiennes, au fondement même de celles-ci. Toutes les générations de chrétiens se sont toujours données à la lecture de la Parole de Dieu. C’est là, en effet, que le Seigneur leur fixe rendez-vous et leur révèle son visage et son amour infini. A leur suite, aujourd’hui aussi, nous sentons la nécessité de lire, d’approfondir la Bible. Le magistère nous y encourage, car nous y trouvons la nourriture pour notre foi. Le Pape Benoît XVI ne rappelait-il pas à la fin du congrès international sous le thème « L’Ecriture Sainte dans la vie de l’Eglise », tenu à Rome du 14 au 18 septembre 2005 : « L’Eglise ne tire pas sa vie d’elle-même mais de l’Evangile, et c’est à partir de l’Evangile qu’elle ne cesse de s’orienter dans sa pérégrination (…). Tous les chrétiens devraient se l’approprier et se l’appliquer à eux-mêmes (…) » ?
S’il faut nécessairement lire la Parole de Dieu, pour pouvoir en vivre, il peut se poser, cependant, un problème quant à sa lecture. Comment la lire afin qu’elle continue d’éclairer l’homme d’aujourd’hui, d’être parole de Dieu pour aujourd’hui ? Une méthode est bien nécessaire. Le dialogue entre Philippe et l’eunuque éthiopien dans les Actes (Ac 8,29-39) l’illustre bien. D’ores et déjà, nous voulons reconnaître que chaque époque de l’histoire humaine a connu ses « lecteurs de la Bible ». La parole révélée, tout en étant parole de Dieu immuable, éternelle, s’adresse à des hommes qui se trouvent en situation diverses à des époques différentes. Plus encore, la parole de Dieu, comme l’affirme l’évangile de Jean, « s’est faite chair et a dressé sa tente au milieu de nous » (Jn 1,14). En prenant donc au sérieux le donné de l’incarnation du verbe, nous devrions réfléchir sur notre lecture de la Bible. C’est notre devoir de chrétien.
En premier lieu, il nous faut toujours considérer le fait que la Bible a toujours été objet de relectures, de nouvelles compréhensions, d’interprétations, d’actualisations. Le texte biblique, en fait, ne saurait échapper à l’effet herméneutique[1]. Déjà au cœur de l’Ancien Testament, Daniel, par exemple, scrutant Jérémie, cherche à comprendre le sens de la prophétie antique (Dn 9,1-27). Plus loin, le livre de la Sagesse essaie d’appliquer l’exode à une situation plus récente (Sg 9-11). Nous n’osons pas citer les relectures de l’Ancien Testament par le Nouveau ; par exemple Is 7,14 par Mt 1,23, le serviteur souffrant par Lc 24,26 appliqué au Christ, Ps 22 (21) par Mt 27,35.39.43.46 comme prédiction de la passion du Christ, etc.[2].
Dans un récent ouvrage paru aux éditions Karthala, J. M. Ela propose des pistes susceptibles de repenser une théologie africaine qui n’est plus au stade de l’affirmation de son existence et qui doit devenir de plus en plus une prise en compte de la réalité africaine concrète ; là où l’homme africain vit et se dit. Il approfondit donc sa pensée en proposant de façon encore plus incisive l’optique de la libération comme indispensable pour le discours théologique africain. L’inculturation, affirme-t-il, n’est pas une exclusivité africaine. Elle est en jeu partout où la foi doit rencontrer l’homme qui ne vit autrement que dans une culture. Elle s’impose dans la lecture, l’interprétation de la Bible. Elle est indispensable partout où la parole de Dieu qui est au dessus des cultures doit, cependant, rencontrer une culture particulière. Celle-ci s’accomplit avant tout avec l’œuvre de traduction et se prolonge dans l’acte d’interprétation, d’actualisation[3]. Or l’homme africain vit dans un contexte spécifique d’anéantissement aussi bien de la part des structures internationales (le Pape Jean Paul II dans l’encyclique Sollicitudo rei socialis du 30 décembre 1987, n’hésitait pas à ce propos à dénoncer les « structures de péché »[4] qui expliquent les maux socioéconomiques qui nous affligent de nos jours et donne le sens à la situation de non développement du tiers monde) que de la part des propres dirigeants politiques.
En ce qui nous concerne, bien qu’il nous faut admettre que l’affirmation de la nécessité de l’inculturation est sous-tendue, d’un côté par ce processus de négation et d’anéantissement de la culture africaine, et de l’autre par la prise de conscience des Africains face à leur propre culture, la théologie africaine, en général et la lecture de la Parole de Dieu, en particulier, doivent aller au cœur de la vie de l’homme et chercher à l’élever à la dignité de fils de Dieu, créé et sauvé par lui. Par ailleurs, comme le soutient P. Poucouta, les perspectives d’inculturation et de libération ne s’excluent pas, mais plutôt s’intègrent ; parce que « le salut en Jésus Christ concerne les réalités aussi bien culturelles que sociopolitiques »[5]. L’insistance sur l’un ou l’autre aspect, bien qu’elle soit légitime, n’est pas pour autant exclusive. En d’autres termes, il n’y aura de lecture authentique de la Parole de Dieu en Afrique que dans la meure où celle-ci s’intéressera aux situations concrètes des chrétiens d’Afrique. Cette lecture ne sera complète que dans la mesure où elle va viser l’enracinement de la foi chrétienne. Celui-ci comporte nécessairement un double aspect : inculturation et libération. La raison est que la foi chrétienne elle-même, aussi bien dans ses sources juives que dans son noyau central, est fondée sur un acte de libération, de salut : l’exode, la libération de l’Egypte, d’un côté, et la résurrection du Christ, de l’autre. C’est ainsi que l’Eglise qui est en Afrique aujourd’hui, et au Congo en particulier, pourra s’approprier du fait chrétien. L’enjeu est de taille et est imposé par ailleurs par le mystère de la révélation qui est toujours révélation de Dieu à l’homme et révélation de l’homme à lui-même.
La difficulté quant à la précision des contours de l’approche libérationniste dans la lecture de la Bible est encore réelle (ses présupposés herméneutiques, ses méthodes et sa cohésion avec la foi et la tradition de toute l’Eglise)[6]. La théologie de la libération elle-même devra aussi se débarrasser de toutes les scories qui risquent bien de la réduire à un instrument de lutte uniquement sociopolitique, sans ouverture eschatologique ; danger qui la guette toujours et risque de faire perdre au discours sur Dieu, qu’elle doit être, et à l’agir chrétien son enracinement profond en Christ, Alpha et Oméga de l’histoire et de la vie (Ap 1,8). Néanmoins, il reste valide que la Bible ne saurait être lue dans notre contexte viscéralement marqué par le non développement sans qu’elle puisse participer à l’éveil de la conscience humaine, chrétienne. D’où l’attention dans son interprétation, son actualisation à la communauté chrétienne concrète, surtout lorsqu’elle doit affronter les problèmes liés à une plus grande réalisation humaine, à un meilleur épanouissement de l’homme.
Dans les lignes esquissées ci-dessus, nous n’avons pas eu l’intention de proposer une méthode de lecture de la Bible au sens scientifique du terme, dans un contexte global comme celui du Congo, de l’Afrique, mais plutôt de susciter notre attention et notre intérêt à cette dimension de libération. La pastorale biblique que nous appelons de tous nos vœux dans notre pays, pourrait être cet instrument au service d’une lecture libérationniste de la Bible.
Ildevert Mathurin MOUANGA
[1] Parlant de la « constitution herméneutique de la foi biblique », Paul Ricœur dégage comme première conséquence théologique de l’indissociable corrélation entre le monde du texte et l’appropriation, le mouvement d’interprétation qui élève la foi au langage (Cf. P. Ricœur, Du texte à l’action. Essais d’herméneutique II, Editions du Seuil, Paris 1986, 146). [2] Cf. Commission Biblique Pontificale, L’interprétation de la Bible dans l’Eglise (15 avril 1993), 78-84. L’édition utilisée de ce texte est celle des Paulines de Montréal de 1994. [3] Ibidem, 107-109. [4] Jean Paul II, Lettre Encyclique Sollicitudo rei socialis (30 décembre 1997), 36. [5] P. Poucouta, La Bible en terre d’Afrique. Quelle est la fécondité de la Parole de Dieu ?, Les éditions de l’atelier, Paris 1999, 19-20. [6] Commission Biblique Pontificale, L’interprétation de la Bible dans l’Eglise, 56-58. |